Belle-Ile en mer

Belle-île la première fois, j'avais huit ans. Dans mon lit en pleine nuit, les yeux grands ouverts, effrayée comme jamais par l'orage de mer qui se déchainait à l'extérieur. Nous sommes, ma soeur, ma mère, la chienne et moi dans cette vieille batisse de Sauzon, toutes seules pour les vacances, mon père qui travaille sur le continent ne nous rejoint que le week end. Ma mère est enceinte de huit mois, elle m'a expliqué comment me rendre très vite à la mairie ou au commissariat de police, seule, si jamais un jour elle sentait que le bébé venait plus tôt que prévu. Je me sens très chef de famille. Sur la plage, ma soeur et moi creusons dans le sable sous la serviette de ma mère, pour qu'elle puisse s'étendre sur le ventre sans écraser le bébé.

Mais là j'ai vraiment très peur. Ma soeur dans le lit voisin n'entend rien à la tempête et dort paisiblement. Je me lève finalement, pour aller boire un peu d'eau au lavabo, pour faire quelque chose surtout plutôt que de rester prostrée et terrorisée dans mon lit. Dans le long couloir de l'étage, à taton dans l'obscurité puisque le courant a été coupé, je rencontre la chienne, très nerveuse aussi qui voudrait bien rentrer dans les chambres. Avant que je n'atteigne la salle de bain, ma mère a ouvert la porte de sa chambre, et m'appelle. Je la rejoins vite, la chienne sur mes talons. Il me semble que maman a aussi peur que moi. Elle me prend dans son lit, ce qui est assez rare pour que je m'en inquiète.
Je n'ose plus bouger, persuadée qu'elle va accoucher là, d'un moment à l'autre, au coeur de l'orage, et de cette vieille chambre dont tous les murs tremblent sous l'assaut des vents, persuadée que je vais être toute seule pour gérer tout cela, il n'y a pas de téléphone, je ne saurais jamais qui prévenir en pleine nuit comme cela, je ne connais pas de docteur... Je ne sais pas comment on fait, je me mets à croire en dieu pour que le bébé décide de rester encore un peu dans le ventre maternel. Je promets d'être sage pour toujours, de ne plus jamais faire crier ma mère, de ne plus jamais embêter ma soeur, pourvu que le bébé ne naisse pas tout de suite. Le bébé a attendu, tous les deux, on allait bien s'entendre finalement...


Belle Ile la deuxième fois, j'avais vingt ans. Nous sommes à nouveau dans cette maison à Sauzon, elle me paraît toute petite cette fois. Mes parents sont là, mes soeurs aussi, et nos amis, propriétaires de cette maison nous accueillent. Il s'agit de mon ancienne nourrice et de son mari. L'ambiance est bon enfant et familiale. Pourtant je me sens toute seule. Ma mère à posé un sceau d'omerta sur ma relation avec Elixir depuis plus de deux ans. Pour le bien être de la petite soeur et de toute la famille, je suis sommée de faire "comme si" et de me taire. Alors je me tais, et je ravale mes larmes quand j'entends des commentaires désobligeants de ceux qui "ne savent pas" sur Amélie Mauresmo quand elle passe au JT, ou sur des allusions au petit ami de ma soeur comparé à ma supposée solitude amoureuse. Ma mère fuit mon regard en permanence. Mon père me soutient, mais n'ose, en ces temps de vacances et de détente, aller contre la volonté maternelle. Un après midi, tout le monde décide de se rendre à la plage. Je viens de quitter la table, après déjeuner, et feuillette distraitement une revue d'ado laissée par mes soeurs.
"- Et toi alors, tu as des copains?
Je me retourne ma nourrice s'est assise à mes côtés. Je détourne sa question
-Mes amis sont restés à Rennes
-Non, est-ce que toi tu as un petit copain?
Je me sens acculée, et quoiqu'en dise ma mère, j'ai décidé de ne plus mentir. Omettre oui, mais pas mentir.
-Non, je n'ai pas de copain moi, j'ai une copine.
Elle s'est tue une seconde, elle m'a regardé. J'ai eu peur.
-Bah... tu as bien raison va... faut pas s'embeter avec ça, si tu es bien comme ça, il n'y a pas de problème. Comment elle s'appelle?

Nous avons laissé tous les autres aller à la plage, et nous sommes descendues toutes les deux sur le port de Sauzon, officiellement à la recherche d'un cadeau d'anniversaire pour mon père. Je lui ai parlé de ma mère. Elle m'a écouté, a pris ma défense inconditionnellement. Après mon père, elle a été mon deuxième rempart contre l'autorité maternelle à ce sujet. Elle m'a raconté sa jeunesse, ses parents trop autoritaires, sa fuite à Belle Ile, son veuvage et ses deux enfants en bas âge à 22ans. Je me suis fait la réflexion que chaque coming out était souvent suivi, de la part de mes interlocuteurs, d'une sorte de catharsis sur les épisodes les plus douloureux de leur vie.

Elle a rencontré Elixir quelque temps après. Elle s'est chargée de m'outer auprès de son mari et de son fils. Elle est devenue une confidente. De celles qui savent, vraiment, tenir leur langue.


Belle Ile la troisième fois, c'était avant hier. Dans cette maison de Sauzon toujours, réaménagée, avec un petit studio atenant cette fois-ci. Nous étions toutes les deux, Elixir et moi, il a fait beau, je lui ai montré la pointe des poulains, peignée par les embruns, les grottes de l'apothicairerie, les rouleaux des Donnants dans lesquels nous nous sommes jetées, le port de Sauzon, à marée basse et désolé, à marée haute et lumineux, le menhir Jean, le menhir Jeanne, un âne en liberté au beau milieu de la route, les landes océanes parsemées de brebis laineuses, les grandes portes étroite de Palais, les petits ports autour de Locmaria...

Nous avons trouvé aussi, outre le soleil îlien qui nous a brûlé les épaules, que Belle Ile était un véritable repères à goudoues... En deux jours, nous en avons remarqué plus d'une quinzaine. Avis aux amatrices qui seraient tentées par l'idée d'ouvrir un bar lesbien sur l'île, c'est l'occasion rêvée de créer un "contre milieu" insulaire!

Comments

[axis]

Vous aimez les iles, moi aussi, il vaut mieux in que out!

[Polysémie]

@ leilani : Eh bien merci pour "l'envoi" (vite expédié), la pub (gratuite) et le "conseil" quant à notre pleine vie amoureuse...

[leilani]

arrivée par hasard sur ton blog, je t'envoi à mon tour ma petite page sur belle -ile, bonne continuation a vous deux
portez-vous bien et vivez pleinement votre amour
amicalement, leilani

[22]

C'est une nourrice qui porte bien son nom.

C'est une île qui porte bien son nom.

Jolie note...

[touk-touk]

c'est drôle, je connais à la fois le lieu (mon a une petite maison à Sauzon) et le sentiment dont tu parles...