Génération
Au fil des ans, je la retrouve sur mon visage devant la glace, je l'entends dans mes intonations, je la lis sous mon écriture. Au fil des ans, j'aime l'amande et la pistache, comme elle, j'ai des réflexes un peu maniaques, comme elle, j'ai les soucis, un peu les mêmes, qu'elle.
Ce n'est pourtant pas faute de m'être construite en opposition, à elle. Ce n'est pourtant pas faute d'avoir choisi d'être tout comme elle ne voulait pas que je sois, elle.
Mais ce sont ses yeux, et ce même arrondi du visage, mais ce sont ses "l", penchés sur mes copies, et c'est sa voix au téléphone que les autres confondent avec la mienne.
Et il faut tout contrôler, comme elle, il ne faut rien laisser voir, comme elle. Il faut être dure, il faut être sèche, et intransigeante, surtout.
Nous nous aimons, c'est évident, il s'agit juste de ne jamais se le dire, au cas où ça paraîtrait trop, au cas où notre pudeur n'y survivrait pas. Nous vivons, souvent, les mêmes choses, c'est évident, il s'agit juste de n'en jamais parler, au cas où l'on s'y reconnaîtrait trop, au cas où cela trahirait notre volonté d'avancer toujours seule.
De par et d'autre, il y a une fierté indicible pour soi et de l'autre, aussi.
De par et d'autre il y a cette empathie qui ne veut pas dire son nom.
De par et dautre il y a cette attente, cette pression qui dit "adhère à mes choix, toi" et "toi, réalise ce que je n'ai pas accompli, ce que je t'ai permis de réussir".
Au premier quart de siècle, elle s'appelait Valentine, au second quart de siècle, elle n'aime pas son prénom, au troisième quart de siècle, elle aurait voulu que je sois Jeanne, au quatrième quart de siècle, elle s'appellera peut être Jeanne.