Sécurité émotionnelle, insécurité civique
En 2003, dans l’Insécurité sociale – Qu’est-ce qu’être protégé ? Robert Castel remarquait déjà qu’ « il est significatif en tous cas, comme la situation politique en France l’illustre en ce moment même, que la demande de sécurité se traduise immédiatement par une demande d’autorité qui, si elle est livrée à ses propres emballements, peut menacer la démocratie ».
En 2007, cette demande d’autorité s’est matérialisée incontestablement par l’élection du ministre de l’intérieur le plus autoritariste et usant de la rhétorique sécuritaire la plus violente à la présidence de la République.
En 2008, on nous propose, sans se soucier le moins du monde des libertés fondamentales construites depuis 200ans dans notre démocratie, de rajouter à la sanction du juge, la sanction d’une commission d’enquête pour éloigner les individus considérés dangereux de la société. Avant la Révolution, on appelait cela les « lettres de cachet »…
Monsieur et Madame Michu en sont
bien aise, et, même si insistent-ils ils n’ont pas vraiment voté pour Sarkozy
en mai dernier, là, ils trouvent que c’est une bonne idée quand même. Parce que
ce n’est tout de même pas normal qu’un salopard qui a enlevé et violé une
petite fille se retrouve en liberté et prèt à recommencer 10 ou 15 ans plus
tard!
Certes. Monsieur et Madame Michu sont humains, trop humains, comme vous, comme moi. Et pensent d’abord avec leurs tripes, surtout quand ils songent par exemple à leurs propres enfants ou petits enfants. Ce sont dès être émotifs, et de fait face à de tels faits divers, émus. On ne peut leur en vouloir.
Mais le Président de la République n’est pas élu pour se faire l’écho des émotions individuelles. Et le Juge n’est pas là pour venger les victimes mais pour rétablir la justice, selon la loi.
L’idée de prolonger la peine des
détenus, sur décision discrétionnaire d’une commission d’experts, par
l’enfermement dans des centres de sécurité pour prévenir les récidives pose
successivement plusieurs problèmes.
Un problème de démocratie évidemment.
Il y a trois pouvoirs en France,
législatif, exécutif et judiciaire, qui se contrôlent et se limitent entre eux
En rajouter un quatrième revient à bouleverser cet équilibre fragile et par
conséquent à menacer directement nos libertés fondamentales. C’est nier le discernement
du Juge et sa capacité à rendre justice. C’est nier la pertinence de la loi et
sa capacité à régenter la société. C’est remettre entre les mains de quelques uns seulement le pouvoir de
décider de la liberté d’autrui. Et c’est évidemment condamner autrui à la
réclusion à perpétuité puisque pas un psychiatre ne voudra avoir la
responsabilité de la remise en liberté d’un potentiel récidiviste, comme le
soulignait justement Hélène Jouan hier matin sur France Inter.
C’est aussi un problème de fonctionnement
des institutions.
Vouloir prévoir un enfermement après la prison revient à mettre en exergue
d’autant plus l’inanité de la prison. Robert Badinter, sage parmi les sages,
insiste depuis trop longtemps déjà sur ce point. Il faut repenser le fonctionnement
et le but de nos prisons. Il ne s’agit pas seulement de soustraire les monstres
aux yeux des citoyens le temps que l’émotion retombe, mais bel et bien de
préparer, toujours, la prochaine réinsertion. Sinon, autant éliminer
directement et physiquement les dits-monstres. L’abolition de la peine de mort
suppose dès l’origine de porter un effort plus conséquent sur la réinsertion
post carcérale.
C’est enfin un problème d’éducation des populations.
L'obssession sécuritaire de nos contemporains découle essentiellement de l'illusion selon laquelle le progrès technique et social devrait nous garantir contre tous les risques, et que le rôle de l'Etat est en effet d'annihiler ces risques. Mais le risque zéro n'existe pas. Aussi dramatiques puissent-ils êtres, les faits de pédophilie, d'infanticide, aujourd'hui perçus comme le summum de l'horreur (encore une fois, tout est question d'époque, il y a 150 ans, l'horreur absolue résidait dans le parricide, dans 150 ans, il résidera peut être ailleurs encore), n'en demeurent pas moins des "faits divers" et l'Etat peut difficilement avoir prise sur le fait divers, qui est affaire individuelle, et non collective, qui révèle des pulsions ancestrales de l'être humain. Demander à l'Etat de policer chacun de ses individus, d'anéantir l'intégralité des pervers, des malades, des déviants, revient à demander à l'Etat d'enchaîner tout un chacun. On ne demande pas à l'Etat de garantir le risque zéro en voiture (encore que...), un accident de la route est le fait du hasard, de la malchance, du "ça n'arrive pas qu'aux autres". Un enlèvement d'enfant aussi. Si nous refusons de vivre en acceptant ce risque, nous ne pouvons plus vivre libres.